PATRICK PELLOUX

MEDECIN URGENTISTE

                       Chroniqueur - CHARLIE HEBDO - Juillet 2015

TOUT EN YOGA !

 

Tout a commencé  il y a quatre mois, où,

entre des nuits agitées par des cauchemars

effroyables et des journées à lutter

contre des visions horribles, ie me suis dit: et si

j'allais faire du yoga ? Mon corps est devenu un

gros chamallow, mes muscles et mes articulations

en répétition pour devenir statue.

Ni une ni deux, me voilà à pousser la porte

d'un club de yoga parisien, tout intimidé par

mon inexpérience, mon âge... Mais la voix

tranquille de la prof, le côté souriant des gens

présents dans la salle ont eu raison de mes

hésitations. Un doux sentiment menvahit de

me retrouver chez les hippies, dans une génératton

peace and love que i'adore, dans une salle

où le pouvoir des fleurs signifie encore quelque

chose. J'ai l'air con en short comme un tron'

homme de Reiser.

Mais que la fête commence. Tel un petit

bouddha rouillé, je tente de m'asseoir sur deux

couvertures posées sur mon tapis vert. Mes

chevilles se demandent ce  qu'il se passe. Mes

genoux font la gueule, quant à mes hanches,

 il est hors de question d'incliner quoi que ce

soit. Les muscles ? Ils semblent devenus avec

Ie temps des barres de fer indéformables, mais

plus question de se plaindre, la séance commence

par trois «om». Vu de Ï'extérieur,  il est

possible de croire en un troupeâu d'imitateurs

de vaches. Mais pas du  tout! D'emblée, une

sorte de concentration se fait.

 



Les étirements commencent.

C'est fou comme en quelques années mon

corps est devenu rigide, La proi  qui fonde

beaucoup trop d'espoirs dans mon corps, nous

demande de nous étirer. Du sacrum aux cervi

cales! À force de soigner tant et plus de malades,

i'ai oublié de rnoccuper de mes vedèbres. mais

mon rachis, o prioi, n'est formé que d'un os de

bas en haut. Mains croisées, au bout de mes

avant-bras et bras, le viens de redécouwir que

mes épaules et coudes pouvaient se tendre.

Des craquements comme des vieilles portes qui

s'ouvrent de nouveau accompagnent tout ca. Il

faut expirer et inspirer en même temps... Alors,

là, mes centres de coordination ne comprennent

même pas de quoi il s'âgit.

 

YOGA MATIN MIDI ET SOIR

 

À côté de moi, une dame doit avoir cinq fois

plus d articulations que moi. À deux rangs, une

jeune femme doit êre faite en élastique... Mais

pas le temps de les regarder, il faut, iambes tendues,

rotules relevées, cuisses rentrées vers l'inté

rieur, poser les mains sous les pieds. Ça fait des

sièdes que mes mains rêvent de toucher mes

petons et ie reste courbé comme un arbre penché

par le vent. Et qui m'a mis un ventre pareil

j''avais pas ça il y a trente ans I Mais au yoga, ce qui

compte, c'est le bien-être, et non la performance.

Le cours n'a commencé que depuis dix

minute. Je nai iamais fait autant de choses. ll est

temps de faire les torsions. Impossible ! 


Il faudrait qu'accroupi je torde mon torse vers la gauche et la

tête vers la droite, en metant une main derrière

et l'autre vers l'avant tout en respirant... Cette

position sur les pieds m'enfonce des épées dans

les deux chevilles. Alertez les pompiers pour me

relever !

Nous enchaînons les positions : le chien

tête en bas, et j'entends mes vertèbres craquer

comme un bateau  qui se libérerait de ses

amarres. L'arbre, l'oiseau, le cobra... Mon arbre

est à l'automne, mon oiseau bat de l'aile et mon

cobra est aussi dangereux qu'un denüer sans

propriétaire. Mais il est temps de mettre mon

talon sur mon anus. Ah non, pas ça ? Si ! Avec

le yoga, tout devient possible, naturel et simple.

]e n'avais pas fait les pieds au mur ou le poirier

depuis des siècles et me voici mis en confiance

par la sublime prof, qui est un peu une  infirmière,

une ostéo, une psy. Elle m'encourage avec

des sourires, car  il y a de quoi, en voyant l'ancien

bébé que ie suis tenter de bouger. Déjà une

heure et demie que je tourne, j'étire, je respire, je

craque. Vient la posture de relaxation et, croyez-le

ou pas, je me suis endormi sur le tapis comme

une baleine échouée.

Ça  c'était hier! Les profs du cours ont une

bienveillance et une gentillesse qui font gue

tous les âges, toutes les blessures se sentent

bien au yoga. Ces cours sont comme des

grandes vacances qui vous assurent que ça va

aller mieux. Je nai jamais été aussi souple. A

noter que mes douleurs ont disparu et que la

concentration est revenue. Je ne saurais donc

trop vous recommander de pratiquer à votre

rythme, tel que vous-même, mais avec assiduité,

le yoga. Non, il ne dagit pas d'une secte,

juste de comprendre que se faire du bien commence

aussi par le corps. Yoga matin, midi et

soir, vous dis-je. Namaslé.